L’accompagnement au sommeil des bébés allaités est un parcours semé d’embûches.
Il n’est pas rare que les bébés ou les bambins allaités se réveillent maintes fois dans la nuit, réclamant du lait, de l’attention, et ce « je ne sais quoi » de magique qui les rendormirait jusqu’au matin.
En tant que mère de 4 enfants allaités, et thérapeute spécialisée sur l’accompagnement des familles, j’ai expérimenté et appris beaucoup de ces expériences.
1ère leçon: la patienceLa première chose que j’ai apprise a été la patience. Ma première fille se réveillait tous les ¾ d’heure, et il a fallu, pour moi, tenir le coup, être toujours prête à la prendre et à l’allaiter, être toujours « sur le pont ».
Cette expérience a été difficile, d’autant plus qu’avant d’avoir des enfants j’étais une grande dormeuse…
Je n’en suis que plus compatissante avec les familles qui me consultent pour le sommeil de leurs bambins…
Je me suis ensuite informée, de ci-de là, j’ai eu recours à une ostéopathe, et entrer dans cette démarche a marqué le début de mon cheminement qui m’a conduite à devenir thérapeute.
Ma fille n’avait pas tensions nécessitant de soin, c’est pourquoi j’ai continué inlassablement à rechercher des solutions.
Mon deuxième enfant était légèrement moins demandeur, mais se réveillait également la nuit, beaucoup…Le cododo ayant été une solution de premier secours, dans mon cas, pour ne pas finir par rentrer dans une porte, ou avoir un accident tant j’étais épuisée, nous avons pris nos dispositions pour sécuriser notre « dortoir », chambre commune pour notre famille.
Mais cela n’a pas été suffisant.
Quand mon fils est devenu un charmant bambin de 2 ans, qui, comme souvent le font les bambins, réclamait le sein en soulevant mon Tshirt, j’ai commencé une réflexion autour de la disponibilité, autour de l’allaitement « à la demande ».
J’avais ressenti le besoin de sevrer mon aînée, à 3 ans, lorsque pendant plusieurs mois, j’ai ressenti une forme d’agressivité à son égard quand elle s’approchait de mon sein. J’avais profondément souhaité l’allaiter jusqu’au sevrage naturel, persuadée que c’était ce qu’il y avait de mieux pour elle d’un point de vue nutritif. Mais devant les messages de mon corps, mon approche intellectuelle n’a pu que déclarer forfait.
Si bien que lorsque j’ai commencé à ressentir la même chose à l’égard de mon fils, j’ai commencé à observer plus précisément les interactions entre l’allaitement, ma disponibilité, comment parfois je me faisais violence pour répondre à son besoin…
Comment parfois je me sacrifiais au nom de l’allaitement maternel, et le bien-être de mon enfant, persuadée que les bonnes mères se sacrifient, le sourire aux lèvres…
C’est à cette époque que j’ai commencé à explorer cette notion de « poser des limites ».
Je ne parle pas ici des limites d’autorité, telles qu’on les trouve dans les livres de Rufo, mais des limites réelles, celles du corps de la mère, celle de sa conception de la maternité, celles au-delà lesquelles les mères en burn-out vont.
Les limites…
Et j’ai appris que ces limites sont en tout premier lieu celles de la mère.
Chacune a des sensations qui lui sont propres. Certaines mères vont allaiter longtemps, d’autres pas.
L’important est qu’elles écoutent leur corps.
Le corps des mères est un corps savant. Il n’est pas rare qu’il nous indique nos déséquilibres, nos limites, soit de façon subtile : sensation agréable ou désagréable, soit de façon plus gênantes : douleurs, maladies, dépressions…burn out.
Il est important, et urgent que les mères se réapproprient leurs sensations pour pouvoir se réapproprier leur corps.
Et cette capacité est directement liée à leur confiance en elle et en leur instinct.
Passé les premiers mois, le bébé apprend très progressivement à rencontrer, puis maîtriser ses ressources, son corps…Peu à peu, il apprend à se mouvoir, à se nourrir, et même à dormir sans sa mère.
C’est un travail d’équipe qui nécessite observation et bienveillance.
La maman doit à la fois observer son corps, et à la fois observer son enfant pour détecter son besoin de dormir et lui proposer au bon moment d’aller se coucher, comme je l’ai déjà détaillé dans « l’écoute des pleurs ».
Et elle doit s’observer : tant qu’elle est d’accord pour allaiter à la demande, même la nuit, pourquoi pas ? Mais dès lors qu’elle ressent des choses désagréables, il peut être intéressant de faire le point :
suis-je d’accord pour me réveiller la nuit ?
Est ce que je me sens inquiète à l’idée de laisser mon enfant dormir sans moi pendant de nombreuses heures ?
Est ce que j’apprécie ce calme et cette tranquillité avec mon bébé ?
Une fois cette introspection faite, on peut aller travailler sur ses zones d’ombre, de peurs et sur nos limites…
Je suis pour l’allaitement à la demande, mais pour avoir vu plusieurs personnes épuisées par le manque de sommeil, et avoir moi-même, il y a 10 ans été proche du burn out, je souhaite développer cette notion de limite :
Une limite, c’est quand le corps se manifeste. C’est avant qu’on n’en puisse plus.
Une limite, c’est ce qui nous force à respecter notre corps, et à nous accepter telles que nous sommes : humaines. Uniques. Pas des super-héroïnes formatées par les magazines.
Respecter notre corps, apprendre à allaiter quand nous sommes d’accord et refuser quand nous ne nous sentons pas d’accord, c’est inculquer à nos filles, dès leur première année, comment être à l’écoute de leur corps, et comment ne pas exiger des autres qu’ils aillent au delà de leur limites.
C’est aussi enseigner, à nos filles et nos garçons comment respecter le corps des autres, comment ne pas abuser.
On sait aujourd’hui qu’enseigner ces notions tôt aux enfants est l’un des premiers axes des préventions contre les violences sexuelles.
Bien sûr, poser une limite sur l’allaitement à la demande, ce n’est déjà pas simple le jour, ça devient encore plus compliqué la nuit.
Le bambin qui ne s’endort qu’au sein ne peut qu’éprouver colère et frustrations de devoir se passer de sa tétée-doudou, sa tétée- réconfort…et nous autres, mères, sommes particulièrement sensibles aux cris la nuit, ce qui peut nous pousser à dégainer notre sein plus vite que l’éclair…
Et un bambin s’y connaît en cris : Il ou elle est capable de crier de toutes ses forces, avec insistance, jusqu’à user la patience de ses parents…
Je n’ai pas de recette miracle, parce qu’il y a à tâtonner pour trouver le juste équilibre entre la pose de limite, l’écoute des besoins, et la communication respectueuse…
Simplement, j’ai appris que les bébés et les bambins sont pleins de ressources.
Ils ont capables de s’adapter à toutes sortes de situations.
Ils ont tendances à se sentir rassurés quand il y a des éléments fixes dans leurs décors, dans leurs rituels du soir, mais ils sont aussi capables de s’adapter à un nouvel environnement.
Donc il est totalement possible, avec patience, de les accompagner vers leur nouveau sommeil.
Il peut y avoir quelques nuits difficiles, mais il s’agit d’être ferme sur notre besoin : en général, c’est de dormir la nuit, et d’allaiter le jour.
Puis accepter et accompagner leur frustration et leur colère de façon empathique et respectueuse.
« Oui, vraiment, tu te sens fâché(e), parce que c’est dur de ne pas avoir le sein. Oui, tu ressens de la colère, parce que tu ne peux pas téter comme d’habitude. Peut-être que tu as un peu peur du noir, et que téter te rassure…tu peux crier ta colère, je t’aime toujours »
Mais je suis là, avec toi. J’ai confiance en toi…tu es capable de trouver une nouvelle façon de dormir, et je suis de tout cœur avec toi. Je peux te tenir la main pour remplacer le sein. Papa peut être près de toi pour la transition, je peux te caresser les cheveux…Je peux revenir te voir pendant que tu dors…»
Quelques soient les solutions créatives que vous mettrez en place, allez au plus simple.
Pensez à prévenir le reste de la maisonnée que c’est un travail d ‘équipe, et qu’il faudra quelques jours….
Vous pouvez y aller progressivement, en douceur, de jour ou de nuit, en écoutant votre boussole intérieure.
Rappelez-vous que les pleurs ne sont pas de votre FAUTE : vous pouvez être responsable que cette situation se soit installée, mais il n’y a pas de faute (n’en déplaise à votre belle-mère, voisine, amie ou dame d’à côté). Vous êtes une bonne mère. Du genre qui veut tellement bien faire que vous êtes allée au delà de votre limite.
Mais il est possible et nécessaire, maintenant, de rectifier le tir.
Et oui, ce n’est pas forcément agréable pour votre enfant, ni pour vous, de faire marche arrière.
Mais vous en êtes capable, et votre bébé aussi.
Ses pleurs lui appartiennent, sa colère aussi. Et vous avez le pouvoir et la responsabilité de poser une limite si votre corps vous le demande, en vous respectant, vous.
Et vous avez le pouvoir d’écouter votre enfant avec tout votre amour et votre compassion, le pouvoir de contenir sa colère, frustration ou tristesse, et de le rassurer que votre amour demeure présent et disponible, même si vous avez posé une limite.
Parce que c’est ça, être parent : utiliser les OUI, et les NON de façon bienveillante.
Et parfois, un NON est un cri d’amour pour nous, notre enfant, pour honorer ce que nous sommes, la vie à travers nous…